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Cygnes noirs, santé, économie et gestion de projet : un même combat

ParBenoit De Grâce, ing. PMP, PSM I, président PMC - Project Management Centre,

5 minutes

 

Vous êtes probablement familiers avec cette théorie, souvent associée à la gestion des risques de projets, qui veut qu’un « cygne noir » est un événement qui rencontre 3 critères :

  • il s’agit d’une surprise ou d’un événement imprévisible;
  • il a des conséquences majeures ;
  • après le premier exemple de cet événement, on rationalise a posteriori comme s'il avait pu être attendu. C’est ce qu’on appelle en anglais le « Hindsight bias » ou « Biais rétrospectif ».

 

Je pense toutefois que le gestionnaire de projet avisé saura voir un autre phénomène en jeu et l’importance de ne pas qualifier ce genre d’événement de « cygne noir ».

Tout d’abord, il est difficile d’affirmer de façon crédible que la pandémie du COVID-19 était imprévisible. La peste noire, le choléra, la grippe espagnole de 1918, le SARS, le H1N1 ou même l’Ébola sont autant d’exemples passés qui devraient suffire à démontrer qu’une crise de l’ampleur de celle que nous vivons avait été prévue par une vaste majorité d’experts.

Nous avons toutefois choisi de les ignorer. Pourquoi?

 

Parce que l’être humain souffre de nombreux biais cognitifs bien connus et documentés dont le « biais de cadrage ». Aussi appelé « effet de cadrage », il s’agit d’une erreur commune que nous faisons tous à un moment ou à un autre lorsque nous nous laissons influencer dans l’évaluation d’un problème par sa formulation. Par exemple, la plupart des consommateurs n'hésiteraient pas à faire 15 minutes de voiture pour économiser 50$ sur un vêtement à 100$, mais ne feraient pas le même geste pour économiser les mêmes 50$ sur un achat de 1000$.

Ces phénomènes sont dus au fait que notre cerveau utilise 2 modes de pensée pour résoudre des problèmes : les systèmes 1 (cerveau intuitif) et 2 (cerveau rationnel). Ces modes de pensée ont été abondamment étudiés par des psychologues et économistes tels que Daniel Kanheman, Richard Thaler et Dan Ariely pour n’en nommer que quelques-uns.

L’enjeu est que nous utilisons trop souvent notre système 1 pour résoudre des défis qui seraient mieux solutionnés par notre système 2.

Par exemple, nous avons collectivement choisi de ne pas nous préparer en vue d’une pandémie parce que les coûts immédiats d’y pallier (bien connus et élevés) nous semblaient beaucoup plus douloureux que les coûts à plus long terme de ne rien faire (beaucoup plus élevés mais moins bien connus).

 

Qu’est-ce que cela vient faire dans un blogue sur la gestion de projet me direz-vous?

Depuis de nombreuses années, tous les spécialistes y vont de leurs multiples recettes en gestion de projet. Chaque recette tente de mécaniser la gestion de projet. Si vous faites A et B, il en découlera le résultat C. C’est rassurant, ça vend bien. On y donne un nom cool et sexy, un prix d’achat et une certification en prime et voilà. Mais on passe à côté d’un ingrédient crucial.

L’être humain dispose d’un avantage sur l’ordinateur. Il est capable d’émotion. Malheureusement, cette même capacité émotive le pousse souvent à commettre de nombreuses erreurs de jugement et d’évaluation.

Depuis quelque temps, de nombreux experts s’intéressent à la psychologie et la science de l’économie comportementale pour bonifier les principes appliqués en gestion de projet.

Voici quelques exemples de biais cognitifs et autres bizarreries de l’esprit humain qui peuvent affecter la conduite de vos projets :

  • Aversion à la perte (loss aversion) : une perte cause deux fois plus de douleur qu’un gain apporte de plaisir (parlez-en aux partisans des Nordiques qui se souviennent encore du but d’Alain Coté). Cette aversion fait en sorte que certains gestionnaires seront réticents à admettre qu’un projet est en souffrance et tarderont à mettre l’indicateur au jaune.
  • Biais de confirmation : peut nous empêcher de considérer des solutions ou enjeux potentiels dans nos projets parce qu’ils ne cadrent pas avec nos croyances ou convictions.
  • Biais d’optimisme : notre recherche du succès (combiné à l’aversion à la perte) nous porte à sous-évaluer les risques ou l’effort à mettre pour réaliser un projet.
  • Ancrage et heuristique de disponibilité : notre propension à utiliser notre jugement intuitif pousse le cerveau à se laisser influencer par des données non significatives lorsqu’on ne lui donne pas le temps suffisant pour faire le calcul correctement.

 

Il est possible de contrer ces phénomènes pour autant que nous y soyons sensibilisés et que nos méthodes de gestion en tiennent compte.

Par exemple, une organisation qui sous-estimait continuellement ses projets en capitaux a trouvé le moyen de réduire les erreurs de jugement découlant d’estimations faites de façon trop intuitive en imposant à tout projet un investissement préalable à l’initialisation de 50 000$ pour préparer un devis plus étoffé accompagné d’estimations plus rigoureuses.

La même organisation a obtenu des rapports de performance plus fidèles en insistant pour que les promoteurs de projets demandent à leurs gestionnaires de projets, lorsque face à des projet « jaunes » ou même « rouges » : « Que puis-je faire pour t’aider à le remettre au vert? ». On transforme ainsi une perte (Pourquoi ton projet est jaune et que fais-tu pour le remettre au vert?) en gain.

 

Le monde de la gestion de projet a tout avantage à s’intéresser au domaine de l’économie comportementale et aux biais inconscients qui guettent les individus et les organisations.

Et pour revenir sur notre « cygne noir ». Le fait de qualifier la pandémie de telle sorte pourrait nous déresponsabiliser collectivement. En effet, si elle était si imprévisible alors nous n’avons commis aucune erreur. Peut-être que, si nous admettons plutôt notre échec et en accusons le sentiment de perte qui y est associé, apprendrons-nous à ne pas commettre la même erreur d’appréciation envers les autres combats qui nous pendent au nez.

 


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          Blogueur invité : Benoit De Grâce, ing., PMP, PSM I - Président

 

 

Depuis 1996, Benoit a successivement occupé les postes de directeur régional, vice-président et maintenant président de PMC – Project Management Centre Inc. une firme qui se spécialise dans la livraison de services en gestion de projet aux entreprises du Fortune 1000 en Amérique du Nord et à travers le monde. PMC aide ses clients à livrer leurs projets plus rapidement et plus efficacement.
Au cours des années, Benoit s’est forgé une solide réputation en tant que formateur, coach et consultant. Il livre régulièrement des formations pratiques sur les principes et techniques de gestion de projet classique et Agile, le leadership en situation de projet et l’application des principes d’économie comportementale pour les gestionnaires un sujet qui le passionne tout particulièrement.

Benoit a complété de nombreuses interventions au Canada aux États-Unis et ailleurs dans le monde auprès de clients dans les domaines financier, pharmaceutique, de la transformation et distribution des aliments, des télécommunications, des technologies de l'information, de la fabrication, de l'ingénierie, de l'énergie, de la défense et de l'aéronautique.

 

 

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